texte d' Emmanuel d'Autreppe (Fr)

 

Pierre Clauss est né en 1963 à Blois, il vit en Corse depuis 2004. Après une formation de topographe et d’historien de l’art, il a rejoint l’association de photographes Chambre à part en 2003 à Strasbourg, puis le Collectif K en Corse en 2007, et intégré en 2009/2010 le séminaire Réflexions Masterclass (dirigé par Giorgia Fiorio et Gabriel Bauret).

Anne-Lise Cornet (pseudonyme : Modi) est quant à elle née en 1975 à Paris. Diplômée de l’école CFT Gobelins (Paris, 1998), elle a intégré le séminaire Réflexions Masterclass en 2004, avant de mener plus récemment des travaux expérimentaux aux lisières de l’autoportrait dans le cadre notamment de la Maison européenne de la photographie, de la Fondazione di Venezia ou encore du musée du Quai Branly.
Ils poursuivent, à la fois ensemble et séparément, une démarche inédite de dialogue avec le paysage (auquel se superpose parfois un dialogue photographique entre eux), d’exploration des différents liens que l’homme peut entretenir avec la nature. Cette idée double (ce qu’il y a de la nature en nous, ce qu’il y a de nous dans la nature) nourrit un projet qui, par là même, s’éloigne du pur documentaire, sans verser non plus dans un symbolisme trop univoque ou dans un militantisme écolo sans nuance. A chaque fois, les lieux et les éléments envisagés dictent différentes approches. Modi y mêle volontiers la question de l’autoportrait (ou plus largement de l’autobiographie, voire de l’autofiction) mais de façon « désincarnée » : ce n’est jamais sa petite personne qui est en jeu, ou qui est l’enjeu, mais au contraire l’approche d’une figure plus universelle, d’une résonance plus diffuse, d’un écho plus lointain. Si elle met son corps ou son visage en scène dans certaines de ses séries, c’est toujours en quête d’extensions plus profondes, à peine perceptibles parfois, mais qui ouvrent sur de nouvelles dimensions (contemplatives, méditatives, poétiques voire politiques, mais toujours réfléchies en harmonie avec ce que la singularité d’un lieu peut éveiller en nous). Pierre Clauss, quant à lui, semble rester en retrait, adresser au paysage un regard à la fois plus distant et plus attentif au détail, plus littéral. Mais ce sont deux voies qui souvent se rejoignent (l’observation minutieuse nous conduit parfois aux lisières de l’imaginaire, l’imaginaire nous invite toujours à scruter mieux le réel) et les amènent à travailler ensemble, sur de mêmes territoires, dans des démarches complémentaires où leurs sensibilités se rencontrent, se complètent sans se mélanger. La douceur alors vient souvent contrebalancer l’inquiétude, un détail d’une série en cours peut déboucher sur une série nouvelle, mais rien, jamais, ne vient remettre en cause le besoin profond : celui d’un rythme synchrone, d’une respiration pour ainsi dire commune avec les lieux qui nous portent et nous importent, avec l’émotion qui naît du phrasé immuable du monde.

Un paysage n’est jamais purement donné, il est toujours à la fois une chose mentale. La poésie, la littérature, la philosophie irriguent d’ailleurs en permanence le travail de Modi et de Pierre Clauss. En réunissant leurs travaux (comme c’est le cas pour la première fois ici, au Centre culturel de Hasselt), on perçoit bien ce qui les relie et les distingue : tous deux évoluent aux lisières de l’image, aux frontières de l’impalpable, de l’invisible. Modi à travers la notion d’identité fuyante, d’une disparition toujours contenue au creux de l’apparition. Pierre Clauss en questionnant l’impermanence ou la fragilité d’éléments plus concrets (forêts, racines, mousses, ruines, rochers…) qui bruissent imperceptiblement. Mais leurs deux regards à l’unisson nous invitent à un contact plus intime avec cette terre qui nous accueille, à un respect plus élevé de toute forme de vie.

 

 

Texte : Emmanuel d’Autreppe

présentation exposition « Entre deux » / Pierre Clauss & Modi / ccha, Hasselt (B) 2013